Cette brûlure, qu'il sent encore sur ses lèvres. Ce ressentiment dans son coeur. Ce regret, de lui mentir, éternellement. Mais l'éternelle chimie, la sueur les unissant, dans leur vices, dans la fracture que Vincent obligeait à sa douce amie. Après cette clandestine rencontre, après ces baisers sans aigreur, renfermant toute la douceur du monde, de leur Monde, après cet adultère de plus, de moins, dans ce jour sans fin, Vincent Deschamps se réveillait en sueur.

Il retombait. Il rouvrait ses paupières, difficilement, sentant la lueur d'un soleil trop éclatant lui fracturer le regard aigre, triste. La cigarette se brûlait dans sa paume, et son coeur mourrait, encore un fois. Il redescendait, dans les profondeurs. Il regardait dans le passé. Il vivait encore dans le passé. Et il sentait ses bras, encore contre lui. Il entendait son doux rire. Et il la voyait, devant lui, elle, intemporelle, comme dans un songe.

Balançant sa tête vers l'arrière, cherchant ses lunettes à la monture forte, son regard aigre doux se déflouait. Il retrouvait la gravité, le poids de la réalité. Dans ce sable qu'il sentait, dans le matin étincelant, dans ses gens qui riaient, il vivait à l'opposé, dans le sombre de la nuit, dans la poétique envie d'en finir, de ne plus la rencontrer. Elle. Elle qui l'obsédait. Et lui, à son opposé, lui qui se tuait, davantage, plus qu'il n'avait enterré ce personnage qu'il avait déjà été. Lui qui vivait sous un autre nom. Lui qui vivait dans le monde de ses songes. Lui qui vivait dans ses entrailles, dans le sombre, dans les ombres, dans ses secrets jamais avoués.

Né à Paris, Vincent Deschamps ignorait l'amour. Il vivait dans l'ombre des autres, ni bon, ni méchant. Il s'inventait une vie rangée, où il finit, par sa ruse, le mystère qu'il engendrait, le charme qu'il dégageait, discret, puissant, à s'inventer sa vie, un peu partout, un peu n'importe comment. S'inventant une vie de débauche différente, dans son rôle d'agent double pour une brigade policière pour la Capitale française, il s'inventait un rôle, il envahissait des vies de ses son regard infini, de sa soif de l'Autre, de l'Inconnu, à chaque fois.

Il était Vincent Deschamps, à la sensibilité frappante, au charme différent, intemporel, comme sur la pellicule sensible d'un film noir et blanc, prêt à être détruit à tout temps, tactile, s'usant dans le temps, empreint d'une beauté d'Ailleurs. Il était Vincent, cet homme qui prenait plaisir vers l'autre. Celui qui avait trop prit plaisir, une fois. Sans vouloir blesser, il était tombé sous son charme. Il l'avait aimé, si fort, si bien, si mal, dans toute sa maladresse, dans tout son secret, qu'en voulant la protéger, il l'avait blessé.

Il s'était tué. Il s'était enterré vivant, pour elle, sans rien lui dire. Il avait recommencé une vie, pathétique.

En engendrant sa propre vie, il perdait ses liens avec le Tangible, le réel. Il perdait ses liens avec ses quelques connaissances, il se perdait lui-même. Sa vie, devenue trop périlleuse, il voulait la retrouver. Il est devenu errant, le Vincent. Il a aussi changé de nom. Il a épousé la sonorité du nom de Natalie, cette femme qui avait capturé son coeur. Endosseur de son propre sort, il s'appelait Dean Hamilton, ancien amant, toujours l'amoureux de Natalie Richardson. Il était anglais, maintenant. Et il vivait sous la crasse de l'inavoué, dans les ruelles de l'Inconnu, encore vivant sous les entrailles de sa défunte, de son Amante, de cette femme infinie, qui lui était trop bénéfique, qui le brisait, qui savait trop bien, mais qui ignorait tout de cette supposée mort.

Il n'avait pu se réduire à lui écrire, à lui dire. Il l'avait quitté, un matin, alors qu'elle dormait, en l'imaginant à ses côtés, fumant se cigarette, ou sinon, en la regardant, en la photographiant, doucement.

Et cette vie qu'il menait, il la vivait dans la plus grande blessure de son coeur fracturé, de son corps brisé par le temps, brûlé par son incohérence, dans son mal de vivre.

Il venait la rejoindre, en Australie, dans ce paysage trop gai pour lui, au soleil éternel. Il venait la rejoindre, en se faisant passer pour un autre, juste pour la sentir plus près, juste pour espérer sentir son souffle apaisant, doux, empreint de cette mélancolie qu'elle gardait à son égard.

Mais il n'avait pas changé. Il n'était qu'un autre fantôme qui souffrait d'elle, de lui-même, qui ne se reconnaissait plus dans cette carapace devenue vide de lui-même, pleine des autres qui l'entourait, qui se saoulait pour oublier un peu ce type d'homme perdu, sans attaches qu'il est devenu, derrière ses yeux vitreux, son regard perçant dans le noir, à travers ce cabaret où il l'imaginait toujours, elle, dans sa voix, l'enrobant, dans sa robe le renfermant, l'enfermant dans cette douce folie.

Il était toujours tourmenté, désorienté dans elle. Et dans sa violence qu'il s'infligeait, dans sa douceur d'antan, dans son mystère vivant, dans ses lèvres étirés par ce mince sourire mélancolique, il vit, mal, derrière elle, elle qui le hante toujours, elle qu'il a cherché pendant 5 ans, elle qu'il s'imagine en d'autres, elle, inégalable, dans sa joie enfantine, dans son caractère autoritaire, aux antipodes de Dean, de Vincent, de cet homme brisé, aux milles cicatrices de ce périple, de cet exil vers elle.